V De dix à Douse Ans (1907-1909)

Première communion et confirmation. — Progrès dans la piété. — Epreuve des scrupules. — Premières méditations. — Attraits de la grâce. — Premières paroles de Jésus. — Amour de la solitude. — Tentations de vanité et d’impatience.

Je me rappelle, et à ce souvenir mon âme se fond en elle-même, Quand je marchais entouré de la foule Et que je m’avançais à sa tête vers la maison de Dieu, Au milieu des cris de joie et des actions de grâces D’une multitude en fête. (Ps. xli, 5.)

83.   La retraite préparatoire à ma première communion arriva. Je redoublai de recueillement. J’avais entendu dire: “La première communion bien faite est un billet pour le ciel; mal faite, elle est presque toujours un billet pour l’enfer.” Je voulais prendre le train du paradis, Avec quel soin minutieux je préparai ma confession! J’avais l’intention de ne rien omettre, pas la moindre faute. Mon Dieu! la liste de mes nombreuses infidélités était bien longue! Merci d’avoir tout oublié. Cependant, je dois chanter avec les accents de la reconnaissance la plus émue la protection amoureuse de Notre-Seigneur et de la Sainte Vierge; car, je possédais la robe de mon baptême. Jésus m’avait gardée, je le répète. Il m’avait gardée si bien que, lorsqu’un jour le démon jaloux avait déchaîné sa rage contre moi, je n’avais pas soupçonné l’effroyable danger. Bon Maître, ma Adère, merci, merci éternellement!

84.   Le matin solennel se leva. C’était le 2 mai. Les choses extérieures ne m’occupaient pas, je pensais à Celui qui allait devenir mon Hôte sacré. Je me souviens d’une seule distraction involontaire; je l’avouai à maman le jour même. Comme j’approchais de la table sainte, le démon me représenta une montre-bracelet en argent qu’on m’avait donnée en cadeau. Je méprisai cette image par un acte de désir et d’amour, et le diable ne revint pas à l’assaut. Mon bonheur fut immense. Jésus était à moi et j’étais à Lui. Cette première union intime laissa dans mon âme, entre autres grâces, la faim de son Corps et de son Sang, faim qui allait s’accroître à chacune de ses visites dans l’avenir.

85.   Ce jour-là, je fus reçue des scapulaires bleu et noir, et je devins soldat du Christ par le sacrement de Confirmation. Après l’onction sainte, je me sentis prête à tous les combats. Ce furent des heures de réjouissances pour mes parents et plusieurs autres membres de la famille réunis chez nous. Le soir, Notre-Seigneur se servit d’un petit incident pour m’accorder encore une grâce insigne. J’étais parée, non de ma robe de communiante, laquelle était fort simple, mais d’une toilette blanche de soie et de dentelles. Par un mouvement maladroit, je la déchirai. Je n’éprouvai pas le moindre regret. Jésus me fit penser à Lui: quels moments de tendresses, de délices! Je compris la fragilité des parures et des biens du monde. Quelques minutes plus tard, je me retirais afin de me reposer. Oh! que j’étais heureuse de m’éloigner du bruit, de converser, dans le silence, avec mon Trésor céleste!

86.   Je devins beaucoup plus recueillie dans mes prières, au point d’éviter, à l’extérieur, tout mouvement inutile, de ne pas lever les yeux quand je lisais dans mon livre de piété. Ma conscience était d’une extrême délicatesse; le plus léger souffle me faisait trembler, de peur de causer de la peine à mon Jésus; les petites choses me paraissaient dignes d’une grande fidélité. Une épreuve m’attendait: celle des scrupules. Le bon Dieu m’envoya un directeur saint et éclairé qui guida mon âme à partir de cette année, durant treize ans (1). Je ne puis dire tout ce que je dois à ce prêtre dévoué. Notre-Seigneur lui paiera la dette qu’il me serait impossible d’acquitter. Pour revenir aux scrupules, i.e. souffris beaucoup et plusieurs mois. Je trouvais la paix dans l’obéissance.

(1) M. l’abbé J.-F.-P. Cloutier, actuellement curé de Saint-Augustin de Portneuf.

87.   Jésus au tabernacle m’enseigna le premier à méditer. Un après-midi, sur la fin du jour, j’étais seule à l’église; tandis que je priais, je sentis un grand désir de la méditation. J’avais sous les yeux, dans mon livre de prières, les mots: Seigneur, mon Dieu! Alors mon esprit se perdit en réflexions pieuses sur ces titres divins; j’oubliai les instants, et le Maître m’éclaira durant une demi-heure.

88.   Une autre fois, Lui-même, dans son ostensoir d’or, captiva tout mon être. Je le regardais fixement, sans bouger; je lui disais intérieurement: Jésus, je sais que c’est Vous qui êtes là dans l’Hostie. Oh ! montrez-vous donc aux yeux de mon corps; je désire tant vous voir! Je le contemplai très longtemps. Le désir de le voir m’enflammait. Le doux Prisonnier répondit à ma supplique naïve par une grande augmentation de foi en sa présence réelle au Saint Sacrement. Ce fut une grâce de choix.

89.   Quand j’avais communié le matin, je ne craignais rien des événements extérieurs. Le premier vendredi du mois de juillet, j’étais à la campagne, en promenade chez une tante. Le matin, je reçus le Pain des forts. L’église était située loin de la maison. Après le dîner, la voiture n’ayant pu nous attendre, ma petite cousine et moi, il fallut retourner à pied. Durant le trajet, une tempête horrible se prépara. Ce fut en effet un des orages les plus désastreux. Je lui dis: “Nous n’avons pas à craindre, nous avons communié ce matin, le bon Dieu est avec nous, Il va nous garder.” La confiance en Lui m’enlevait la peur. Il nous protégea visiblement, car, à peine avions-nous franchi le seuil de la maison que l’ouragan se déchaînait.

90.   Je recherchais les petites mortifications volontaires. Afin de ne rien laisser paraître, je les accomplissais surtout le soir ou la nuit. Que j’aurais voulu un oreiller moins doux pour prendre mon repos!

91.   La pensée de la mort me revenait souvent. Durant ce même mois de juillet, j’en fus poursuivie toute une journée. Ce n’était pas un sentiment de terreur, mais une réflexion salutaire. Notre-Seigneur a multiplié dans ma vie de telles grâces de préparation à mon union éternelle avec Lui.

92.   La vie du monastère m’attirait de plus en plus. Je songeais au jour de mon entrée, de ma prise d’habit, de ma profession. Dès lors, il me semblait que le vingt-cinq mars et le quinze août, fêtes de l’Annonciation et de l’Assomption de la Sainte Vierge, seraient pour moi des jours à jamais mémorables. Le bon Dieu l’a voulu ainsi. Ce sont, jusqu’à présent, les deux dates les plus solennelles de ma vie religieuse, les plus embaumées des parfums divins, les plus enveloppées des célestes enivrements.

93.   Pendant que Jésus travaillait en mon âme, mes chers parents ne cessaient de multiplier leurs tendresses et leurs gâteries à mon égard. Je dis: “gâteries”, dans le sens de douceurs, de prévenances, d’attentions délicates, connue seuls peuvent en inventer le cœur d’un père et celui d’une mère. J étais choyée par eux dans la force du mot, mais, non gâtée, dans le sens regrettable.

94.   Cette année-là, probablement parce que j’étais sage et silencieuse, mes compagnes, au couvent, se mirent à m’appeler sainte Dina. Si elles savaient comme elles m’ont fait souffrir! J’étais reconnaissante de leur indulgence, mais je comprenais qu’elles se trompaient si grandement. Aujourd’hui, mieux que jamais, je vois que je n’avais aucun mérite à être silencieuse: je nageais dans l’abondance des grâces divines. D’un autre côté, je savais dissimuler mes défauts et mes manquements sans nombre.

95.   Dès le mois de juin qui suivit ma première communion, je commençai la série des neuf premiers vendredis du mois. Au neuvième et dernier, en février, le démon, mécontent, essaya de me troubler par un scrupule. Jésus me donna la force de mépriser la tentation, — c’en était vraiment une, — et je communiai. J’étais certaine, après cela, d’obtenir la faveur de la persévérance finale (1).

(1) Il ne s’agit pas d’une certitude absolue, mais simplement d’une persuasion fondée sur la pieuse croyance en l’efficacité de la communion des neuf premiers vendredis du mois.

96.   Le 25 mars suivant, Jeudi Saint, et de plus, jour de l’Annonciation, pendant mon action de grâces après la communion, Notre-Seigneur se communiqua à mon âme par une lumière nouvelle. C’était la première fois que je comprenais aussi bien sa voix, intérieurement, c’est entendu, voix douce et mélodieuse qui m’inonda de bonheur.

97.   Le démon essaya de me prendre dans un nouveau piège: l’habitude vaniteuse de me regarder dans une glace. L’habile trompeur eut à enregistrer, hélas! victoires sur victoires. Jésus prit en pitié ma sottise et me donna la force de travailler à me vaincre. Il arma ma volonté pour tuer cet affreux défaut. Grâce à son puissant secours, j’en vins à rompre le filet séducteur jusqu’à la dernière maille. Que mon tendre Maître a été bon! Malgré mes infidélités, Il réitérait ses avances ; sa main se présentait à moi plus ouverte et plus forte pour me relever et me soutenir. Merci, mon Jésus, et pardon!

98.   Quelques mois plus tard, — j’avais alors onze ans, — j’obtins un diplôme de piano: Intermédiaire. Autour de moi, j’entendis des compliments à mon adresse. Le divin Ouvrier gardait mon cœur; ces petits succès n’y soulevèrent aucune brise prétentieuse.

99.   Je passai l’été à la campagne avec mes parents. La nature avec ses beautés et ses richesses variées: crépuscule, clair de lune, plantes, fleurs, fruits, ruisseaux, rivières, papillons, chants d’oiseaux, etc., me jetaient dans une sorte d’extase. La tiède haleine des vents, le murmure jaseur des feuilles, le grand silence du soir, le sourire des étoiles m’enivraient. Cette rêverie était à mon insu une méditation pieuse. Elle allait devenir de plus en plus profonde, s’appeler bientôt une contemplation, me rendre muette et même inconsciente d’admiration, m’enflammer de reconnaissance et d’amour envers l’Infini, me consumer du désir de Le posséder, Lui, Beauté idéale.

100.   Mon repos était la solitude. Quand j’en avais l’avantage, je dérobais des livres de piété concernant la vie religieuse; je lisais peu, mais je réfléchissais; je copiais quelques lignes qui me frappaient.

101.   Dans l’automne, je reçus la grâce d’assister à une prise d’habit chez les Carmélites de Montréal. La journée de la cérémonie me parut une journée du ciel.

102.   On ne pouvait m’offrir de plus précieux cadeau que des objets ou des livres pieux. Je désirais posséder la vie de sainte Thérèse afin de pouvoir la lire; je ne la demandai pas.

103.   A douze ans, je quittai le couvent de Saint-Roch, parce que dans ma paroisse on venait d’ouvrir celui de Jacques-Cartier dirigé aussi par les religieuses de la Congrégation de Notre-Dame. A ce moment-là, maman songea à me faire continuer mes études chez les Mères Ursulines. Leur établissement était situé loin de la maison; la sollicitude maternelle redouta le long trajet, et j’allai à l’Académie nommée plus haut.

104.   Le démon essaya, vers ce temps, de me blesser par une autre ruse; l’habitude de perdre patience à propos de tout et pour des riens, quand j’étais seule. Où cette manie m’aurait-elle conduite? A quelque défaut vilain, au moins. Jésus me fit reconnaître vite le plan de l’ennemi. Mon divin Maître m’accorda sa grâce et, après une série de luttes, de défaites, hélas! et de victoires, grâce à Dieu, je me corrigeai.

105.   Ainsi, Notre-Seigneur veillait sur mon âme d’un œil attentif; et si j’avais la faiblesse de mettre un obstacle à son action sainte, Il me donnait un secours plus puissant ou Il daignait attendre avec sa patience inlassable le retour plus soutenu de ma bonne volonté. Ah! si les âmes savaient combien II est miséricordieux, notre Sauveur, combien II aime à pardonner, comme elles iraient toujours à Lui avec une confiance sans limites! Nos misères ne détournent pas son amour, c’est sur elles qu’il bâtit l’édifice de notre sanctification. Il ne demande que nos bons désirs, notre repentir et le recours à sa mansuétude. Je voudrais dire, et, pour cela, il me faudrait comprendre moi-même, de quelle indulgence Il a usé envers moi toute ma vie!